État des lieux

«Il faut qu’il y ait un désir de vivre ensemble.» Huit colocataires, une aventure humaine entre âges, cultures et croyances

À Lannion, huit colocataires aux horizons variés ont fait le pari d’une vie commune. Âgés de 21 à 71 ans, ils partagent bien plus qu’un toit : une colocation intergénérationnelle, interculturelle et interreligieuse. Patrick, 62 ans, et prêtre à la Mission de France et Winael, 20 ans, nous racontent leur quotidien et l’expérience unique de cette cohabitation atypique.

Winael et Patrick devant la colocation. Photo Clara Malavergne. 2025.

Dans une grande maison bretonne, Patrick, 62 ans, prêtre à la Mission de France depuis 28 ans et installé à Lannion depuis dix ans, a fondé une colocation hors du commun avec Dominique, son ami, confrère et colocataire. Avant de se lancer dans cette aventure, Patrick était cuisinier dans un collège. Aujourd’hui, il s’investit pleinement dans le lien social à travers diverses activités comme la cuisine et le jardinage, favorisant les rencontres entre personnes d’horizons variés.

Au sein de cette colocation, huit chambres sont occupées par des locataires de tous âges et religions. Winael, 21 ans, a rejoint l’aventure il y a un an et demi. Ensemble, ils partagent leur quotidien et témoignent de cette expérience de vie singulière. «On voulait une maison normale, avec des gens différents, et ça s’est fait tout naturellement», explique Patrick.

Colocation intergénérationnelle à Lannion. Photo Clara Malavergne. 2025

Selon votre expérience, quelles valeurs sont essentielles pour réussir une telle cohabitation ?

Winael : On est huit ici, donc discuter les uns avec les autres, c’est hyper important. Ça permet aussi de savoir s’il y a des choses qui ne vont pas. Comme dans un couple, quand il y a des non-dits ! Quand une dispute grossit, eh bien, ça peut facilement exploser. Ici, ça n’est jamais arrivé à des points de non-retour. Oui, il y a déjà eu de grosses engueulades, mais ça s’est toujours réglé, sinon ça serait invivable. On est tous différents ici, il y a aussi une différence culturelle, donc on essaie de comprendre et de s’écouter. Il y a aussi le respect dans tout ça. On peut avoir des sensibilités sur certains sujets, qui vont sembler anodines pour d’autres. 

Patrick : J’ai l’image des poupées russes qui me vient en tête. C’est-à-dire que dans la communication, dès qu’il y a un rythme de vie différent, il y a différents niveaux. Il y a ceux qui n’ont pas d’activité professionnelle régulière et ceux qui travaillent beaucoup, comme l’un des colocataires qui travaille dans l’hôtellerie et fait 60 h par semaine… eh bien, ça crée des niveaux. Bref, il y a des différences entre Européens et Africains ici dans la coloc, mais aussi entre les personnes plus âgées et les jeunes. Il y a aussi le caractère : sang-froid et sang-chaud. Ou encore le niveau de la langue, ici on n’a pas tous les mêmes expressions, le même humour, donc il y a ce niveau de compréhension à prendre en compte. Ça peut générer de fortes tensions. Mais l’objectif, c’est de se rendre la vie facile, quitte à se serrer la main à la fin ou à échanger un regard. Bon, oui, ça ne résout pas tout, mais c’est un bon début. 

Y-a-t-il une bonne entente entre colocataires ayant des différences d’âge et de croyances religieuses ?

Winael : Moi, lui, je l’aime pas. (rire)

Patrick : J’allais dire exactement la même chose, mais vu qu’il est plus jeune, il est plus rapide. Bon, l’humour, ça aide, et ça, c’est difficile d’un point de vue culturel.

On vit ensemble, mais avant, on était amis, on se voyait souvent. Quand il était gosse, il me disait : “C’est bizarre, t’es vieux, tu vas bientôt mourir, mais t’es marrant, on a le même humour.” Puis on allait voir des Marvel ensemble. Mais j’ai souvent été très peu dispo à cause du travail. C’est comme pour William, un autre coloc, il a 40 ans et il a deux petites filles qui viennent assez souvent. L’ambiance peut changer, parfois on en a marre et d’autres fois, on est vraiment content de voir les petites s’amuser et être heureuses de venir voir leur père.

Winael : Parfois, l’ambiance peut être tendue et d’autres fois, c’est génial. C’est aussi ça, vivre en communauté.

Comment les jeunes et les personnes plus âgées, peuvent-ils s’enrichir mutuellement dans une colocation comme celle-ci? 

Patrick : Ça se fait naturellement ! Par exemple, il y a Abdel, un des colocataires, il est fan de foot, donc il regardait tous les matchs sur son téléphone, seul dans sa chambre. Moi aussi, j’aime bien le foot, il n’y a pas d’âge pour le regarder, donc j’ai acheté un abonnement pour pouvoir le regarder à la télévision. Donc, avec Abdel, on s’est beaucoup rapprochés, car on regarde tous les matchs ensemble à la télé, on regarde parfois des films, et c’est super. Puis ça nous a permis de bien discuter, c’est un bon exemple pour montrer que les liens se font naturellement. En une semaine, on était potes. Pareil pour les filles de William, elles sont toutes petites et pourtant on arrive à s’entendre. 

Winael : Forcément, parfois ça dérange d’avoir des enfants dans les pattes. Elles arrivent, elles mettent tout en pagaille, mais elles sont attachantes aussi. Je me suis surpris à ranger leurs dessins, peintures, etc., de manière automatique. On finit par rentrer dans leur univers. Parfois, on met de la musique et elles se mettent à danser, donc c’est marrant. Puis parfois, tu entends pleurer, tu sais pas pourquoi.

Est-ce que vous avez rencontré des soucis au niveau des différences de rythme de vie, comme le bruit, les repas ?

Patrick : Oui, il y a toujours ce souci, mais on en discute. Par exemple, il y avait un jeune homme qui appelait sa famille en Côte d’Ivoire et il parlait très fort, ou encore une ancienne colocataire qui faisait ses prières en chantant. C’est vrai que ça faisait du bruit le matin, mais ce n’était pas très dérangeant. Ça restait des chants pas vraiment très forts. Puis, on s’habitue aux personnes qui vivent ici. Une fois, il y avait un couple qui faisait du bruit, et bon, forcément, ça en dérange certains. Personnellement, je reste vigilant sur la propreté. Pour moi, la cuisine et les pièces communes doivent être présentables !

Winael : Puis, au niveau de la répartition des tâches ménagères, oui, il peut y avoir quelques tensions, mais ce n’est vraiment pas grand-chose. On participe tous et on se met d’accord sur ça.

Est-ce que vous partagez des rituels ou fêtes religieuses pour encourager la découverte et le respect mutuel au sein de la coloc ?

Patrick : Tous les lundis soir, ici, on accueille des amis. On célèbre la messe ensemble, mais de manière domestique, donc à la maison. On prend des nouvelles, puis on partage autour des textes du jour, l’Évangile, puis un texte de la Bible, et après, on partage le pain et le vin. À la manière dont Jésus a pu vivre ça, c’est-à-dire avec du vrai pain et du vrai vin. C’est une manière de renouer avec une façon simple de comprendre ce geste qui, aujourd’hui, a pris une dimension sacrée. Nous, c’est le chemin inverse. Comme des prêtres ouvriers qui vont à la rencontre des gens dans des usines, dans le travail professionnel ou dans les associations, eh bien, c’est la même logique. C’est aller à la rencontre de Jésus, dans ce qu’il a pu être d’humain. Il y a des paroles qu’on ne modifie pas, on les reprend telles qu’elles ont été écrites. Puis, à la fin, on partage un grand repas, et ça peut arriver que des personnes de la colocation y participent. Toute la soirée, c’est aussi l’amitié.
Il faut qu’il y ait un désir de vivre ensemble, une envie d’enrichissement et de rencontre.

Winael : Personnellement, je ne suis pas particulièrement croyant, mais c’est vrai que ça m’est arrivé d’y participer. C’est aussi la découverte des autres et ça c’est sympa.

Retrouvez tous nos articles sur le logement sur notre page web : ÉTAT DES LIEUX

Retour en haut